« Le professeur d’anglais », l’hommage de Mathieu Pieyre à ses maîtres

Mathieu Pieyre © DR

Le romancier français Mathieu Pieyre fait partie de ces figures inspirantes, qui reconnaissent volontiers l’apport d’un maître dans leur construction humaine et intellectuelle. À l’exemple effectivement de Proust dans son opuscule consacré à la lecture ou du philosophe Montaigne qui rendit un vibrant hommage à Boccace, Rabelais, Sénèque et Plutarque dans ses essais, Mathieu Pieyre fait du Professeur d’anglais, un livre d’hommage à ses maîtres que sont les écrivains et l’enseignant original qui lui a permis de s’éprendre de la langue anglaise… Ce subtil hommage permet aussi d’entrevoir et d’admirer la culture humaniste du fin lettré qu’est Mathieu Pieyre. Entretien.

Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?

Mathieu Pieyre : Je suis à l’automne de ma vie. Ma carrière professionnelle, qui s’est en très grande partie déroulée aux Nations Unies, est derrière moi. Tout au long de celle-ci, j’ai eu divers postes dans sept pays différents avec des responsabilités qui ont été progressivement importantes. Ce n’était pas un parcours d’écrivain même si l’écriture et la littérature ont toujours été là. Elles ont toujours énormément compté, mais il me semblait que j’avais d’abord à vivre, d’abord à faire ma carrière, avant de pouvoir écrire. J’ai quitté les Nations Unies l’année dernière et quelques mois plus tard, le livre est paru. Ça a été une formidable réorientation professionnelle parce que si je suis techniquement préretraité des Nations Unies, je ne me sens pas du tout à la retraite. Je me sens de ce beau mot d’écrivain. Quand on me demande ce que je fais, je réponds écrivain avec peut-être un peu de forfanterie puisque je n’ai publié qu’un seul livre. Mais c’est ce mot-là qui me définit désormais.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans l’écriture ? Pourquoi écrivez-vous ?

Mathieu Pieyre : Pourquoi j’écris ? Je crois que j’écris pour retenir le temps qui passe et passer le temps qui reste. Ce livre comme les deux autres, qui n’ont pas encore été publiés, sont des livres qui travaillent sur le temps, la mémoire, ce qu’on en retient, ce qu’on en fabrique. C’est évidemment une manière de se réconcilier avec le temps passé, qui vous revient avec des remords, des regrets, des chagrins. L’écriture ne les éteint pas nécessairement, l’écriture permet de les tenir à distance. Dans ce livre, il y a quelques passages, notamment douloureux, qui m’ont apporté un vrai bonheur lorsque je les ai écrits. C’est cela le bonheur de l’écriture : c’est de pouvoir transformer la douleur en quelque chose d’apaisé.

Vos propos sont quelque peu proustiens. Est-ce un auteur qui figure dans votre panthéon littéraire ?

Mathieu Pieyre : Je ne vous le cache pas. Est-ce qu’on peut écrire sans avoir lu Proust ? Tout le monde n’est pas influencé de la même manière, évidemment, mais c’est comme si je vous disais, je joue du piano, mais je ne connais pas Bach. Pour moi, c’est quand même un peu Dieu le Père dans la littérature française. Dans ma culture, oui, c’est une sorte de point d’origine. J’ai lu la première fois Proust quand j’avais 17 ou 18 ans. C’est un auteur qui m’a profondément marqué parce que comme je vous le disais, c’est un peu Dieu le Père. C’est un point d’origine !

Pour le deuxième livre qui est consacré à une autre période, celle de mes 20 ans, la documentation me permet de me confronter au jeune homme que j’étais et qui parfois m’étonne, m’intrigue.

Mathieu Pieyre

Comment écrivez-vous ?

Mathieu Pieyre : J’écris sur un ordinateur, mais aussi sur d’autres supports. Parce que ce qui se passe quand on est plongé dans l’écriture, c’est qu’on y revient tout le temps. On y pense toute la journée et toute la nuit. C’est presque de l’ordre de l’obsession. Ce qui fait que j’ai des post-it partout parce qu’à tout moment, y compris les plus saugrenus, je peux avoir une idée qui me traverse la tête et que j’aurais envie de transformer en quelque chose pour le livre. Et donc, au pied de mon lit, j’ai des post-it. D’ailleurs, dans la nuit, il peut m’arriver de me réveiller pour noter quelque chose qu’au matin, je ne comprends pas toujours, mais quelquefois, il y a de très bonnes idées que je retranscris sur mon ordinateur. Je pense que même Proust écrirait à l’ordinateur aujourd’hui. Il serait d’ailleurs tellement heureux de pouvoir s’exonérer de ses paperolles. Ça décuplerait sans doute la dextérité, qu’il avait déjà.

La recherche est un livre-monument qui fourmille notamment de références aux arts. Comme Proust, avez-vous procédé à de la documentation avant d’entamer l’écriture de votre roman, Le professeur d’anglais ?

Mathieu Pieyre : Alors oui et non, c’est-à-dire que ce n’est pas de la documentation sur Internet ou sur Wikipédia. C’est une documentation qui est davantage intime. Je tiens un journal depuis l’âge de 15 ans. J’ai donc des carnets entiers, des écrits que je ne relis jamais sauf pour le livre où j’ai eu besoin d’écrire sur une autre période de ma vie. Voilà pourquoi je parle de documentation intime. Parce que c’est de la documentation sur celui qu’on n’est plus. Par exemple, pour le deuxième livre qui est consacré à une autre période, celle de mes 20 ans, la documentation me permet de me confronter au jeune homme que j’étais et qui parfois m’étonne, m’intrigue.

En ce qui concerne la documentation artistique, j’ai relu plusieurs livres pour écrire Le professeur d’anglais. Il y a notamment un livre qui traverse Le professeur d’anglais. C’est un livre que j’ai toujours beaucoup aimé, et souvent relu. Lorsque j’écrivais ce livre, j’ai eu envie de le relire une nouvelle fois afin de l’évoquer correctement. Je pense que tous les livres sont traversés par d’autres livres.

Quelle est la genèse du Professeur d’anglais, ce formidable roman qui rend hommage à un votre ancien professeur d’anglais.

Mathieu Pieyre : Je l’explique un peu dans le livre, c’est-à-dire que l’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas devenu professeur, alors que c’est une profession qui pouvait me tenter par beaucoup d’aspects, c’est que j’étais effrayé de constater que chaque année, les professeurs devaient se déprendre de leurs élèves. Finalement, il y a très peu de professeurs qui gardent des relations avec leurs élèves. Et comme je le dis dans le livre, les relations maître-élève sont de plus en plus solubles dans le temps. C’est un constat plutôt malheureux que j’ai pu faire. J’avais oublié mes professeurs ou de temps en temps, ils revenaient dans mes souvenirs, mais de manière anecdotique.

Dans le livre, je joue sur les avis d’obsèques, les avis de souvenir pour faire avancer l’intrigue. Et c’est comme cela que l’idée m’est effectivement venue de retrouver un professeur à travers des avis de souvenir. C’est quand même l’objet même du livre. Je ne sais pas s’il faut le dire comme ça, parce que c’est presque dévoiler la seule intrigue du livre. Mais c’est comme ça qu’est née la genèse du livre. Je suis très sensible aux avis de souvenirs publiés dans des journaux comme Le Monde ou Le Figaro. Quand vous vous mettez à les lire régulièrement, vous vous apercevez que d’une année à l’autre, les mêmes personnes publient des avis de souvenir pour leurs défunts. C’est vraiment un phénomène qui m’a énormément ému. C’est comme une manière de maintenir leur mémoire et de la donner à d’autres. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait pour soi. C’est quelque chose que l’on partage. On est dans quelque chose de très similaire avec l’écriture : on écrit quelque chose de très intime, mais qu’on veut donner aux autres.

Ce livre doit-il être considéré comme une ode à la transmission et à l’éducation ?

Mathieu Pieyre : Oui, assurément. Le livre est dédié aux élèves dont la vie serait moindre sans l’influence radieuse d’un de leurs professeurs, mais finalement, j’aurais pu le dédier à tous les professeurs qui rendent plus grande la vie de leurs élèves grâce à leur charisme. On est au-delà du savoir, de la transmission. C’est, je pense, la manière de planter des petites graines dans les cerveaux, dans les esprits, dans les cœurs des adolescents. C’est totalement une ode à l’éducation, à certains maîtres particulièrement. Je n’ai pas écrit sur d’autres professeurs qui m’ont laissé moins de souvenirs ou qui peut-être, m’en ont laissé des mauvais, j’ai écrit sur certains maîtres qui nous affranchissent quand on a eu le bonheur d’en avoir. J’ai rencontré beaucoup de lecteurs et de lectrices qui m’ont dit : « Moi, j’avais un professeur d’histoire, j’avais une professeure de philosophie comme ça. » Je suis vraiment content de ces échanges parce que, on ne leur dit pas à ces professeurs qu’on les a chéris. Ça me touche si le livre a pu toucher dans ce sens-là. J’étais très content d’avoir le prix Alain Fournier, qui était le fils de deux instituteurs et pour lequel l’éducation était une clé.

L’emploi du « je » nous permet d’accéder à la vérité d’une personne qui est derrière le livre.

Mathieu Pieyre

Outre Proust et les auteurs cités dans votre livre (Montaigne, André Gide, Marguerite Yourcenar), avez-vous d’autres textes et auteurs qui vous ont permis de vous construire ?

Mathieu Pieyre : Le livre est effectivement traversé par plusieurs auteurs. J’ai été presque trop transparent puisque j’ai donné plein de clés déjà sur les auteurs qui ont été mes maîtres : Montaigne, André Gide, Marguerite Yourcenar. Mais il y a aussi la littérature américaine qui a beaucoup compté, notamment Jack Kerouac, William Maxwell, l’auteur auquel je tire ma révérence dans le livre et Fitzgerald… Je crois que ce que j’aime chez la plupart de ces auteurs, c’est l’emploi du « je ». L’emploi du « je » nous permet d’accéder à la vérité d’une personne qui est derrière le livre. C’est ça que j’aime et c’est pour ça que je suis sensible à Montaigne. Je suis bien évidemment aussi sensible à des romans très classiques, à la troisième personne, à la Balzac, mais les romans qui m’ont vraiment touché, ce sont les romans où l’auteur dit « je » tout en travestissant qui il est. Le « je » est pour moi une formidable ouverture romanesque.

Ces auteurs ont tous un rapport spécifique aux langues, quel est le vôtre avec les langues que vous parlez, notamment le français et l’anglais ?

Mathieu Pieyre : J’en parle quelques autres, mais je suis profondément de ma langue. D’ailleurs, dans mon deuxième livre, je vais rendre un hommage particulier au français… Dans ce premier texte, je voulais faire une déclaration d’amour à la langue anglaise dont je suis tombé amoureux. Je crois qu’il n’y a pas d’autre manière d’apprendre une langue que d’en tomber amoureux ou de tomber amoureux d’une personne qui parle la même langue. Mais si on n’a pas nécessairement sous la main, la petite amie ou le petit ami pour apprendre une langue, on peut tomber amoureux directement de la langue. C’est ce qui m’est arrivé avec l’anglais, l’italien et un peu avec l’allemand. Les langues sont des continents qui nous séduisent au départ par leur côté mystérieux. Et puis comme c’est un continent qu’on va aborder petit à petit, pas à pas, mot à mot, on va évidemment en être amoureux à mesure que notre connaissance de la langue progresse.

Comment qualifierez-vous votre travail littéraire ?

Mathieu Pieyre : C’est aux autres de le qualifier, mais si je devais en dire un mot, je dirais que c’est un travail sur le temps. Le temps et ce qu’il fait de soi, ce qu’il fait des autres, ce qu’il fait de nos sentiments et comment les mots peuvent nous aider pour en rendre compte.

Le monde n’est pas tel qu’on voudrait qu’il soit, il en est loin. La littérature va nous aider à le penser, l’imaginer autrement ou, à tout le moins, rendre visibles ses grossières imperfections.

Mathieu Pieyre

Et votre style ?

Mathieu Pieyre : J’essaie d’écrire de manière simple, mais souvent, les sentiments ou les émotions que je veux traduire dans la langue ne sont pas simples. Et donc, ça conduit à ce que les phrases soient assez travaillées. Une des critiques que j’ai reçues le plus pour ce livre, c’est que c’est un style travaillé. Certains ont pu dire « précieux », d’autres ont dit : « extrêmement littéraire ». Je pense que selon le goût qu’on a pour les textes, on peut effectivement le trouver soit extrêmement littéraire, soit trop précieux.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

Mathieu Pieyre : J’ai effectivement d’autres projets en tête : la publication d’un deuxième roman chez Arléa et l’écriture d’un troisième livre.

Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui ont envie de se lancer en littératures ?

Mathieu Pieyre : De ne pas attendre aussi longtemps, de se lancer dès qu’ils sentent l’envie d’écrire.

Un dernier mot sur la littérature ? Que peut-elle ?

Mathieu Pieyre : La littérature doit être l’espace de liberté dont nous avons besoin pour accepter le monde. J’insiste beaucoup sur le mot « liberté ». Elle nous permet de mettre le monde à distance. Comme je vous l’ai dit, j’ai fait une grande partie de ma carrière aux Nations Unies, j’ai été extrêmement impliqué dans des programmes de pauvreté sous toutes ses formes. Le monde n’est pas tel qu’on voudrait qu’il soit, il en est loin. La littérature va nous aider à le penser, l’imaginer autrement ou, à tout le moins, rendre visibles ses grossières imperfections. C’est cela le pouvoir de la littérature.