La littérature selon Samuel Loutaty : « un continent inépuisable à explorer »

Samuel Loutaty © DR

Premier roman de Samuel Loutaty, « L’homme empêché » retrace le parcours d’un homme entravé par la peur de s’affirmer bisexuel, au risque de faire voler en éclats une vie et des apparences savamment construites.

Le livre de Samuel Loutaty nous bouleverse par sa sincérité à décrire les tourments et interrogations de Sam, son double littéraire qui a longtemps eu du mal à s’affirmer bisexuel, tout en multipliant les aventures extraconjugales avec des amants originaux et souvent manipulateurs… Roman d’apprentissage, de réflexion sur la vie de couple et les sexualités non-hétérosexuelles, L’homme empêché se lit gaiement grâce à la plume érudite et enlevée de l’auteur qui nous offre les prémices d’une ambitieuse et foisonnante œuvre à venir. Entretien.

Comment écrivez-vous ?

Samuel Loutaty : Je n’ai aucun rituel d’écriture. Je suis bien trop désordonné pour ça ! J’ai commencé à écrire L’Homme empêché alors que j’étais dans un placard professionnel. Ma vie de bureau était devenue un enfer ; je n’avais quasiment plus rien à faire de mes journées. Une amie m’a alors conseillé d’écrire pour ne pas sombrer complètement. Je l’entends me dire : « même cinq ligne par jour, tant pis si ce n’est pas du Proust ! » J’ai longtemps repoussé le moment de tenter l’expérience et puis un jour, je me suis mis à écrire. L’exercice m’a plu immédiatement et au lieu des quatre ou cinq lignes quotidiennes recommandées par mon amie, j’ai commencé à taper plutôt trois ou quatre pages par jour. Cette fluidité m’a étonné. Il s’agissait de textes très décousus, qui n’avaient pas forcément de rapport entre eux. Parfois, c’était un portrait vite esquissé, parfois le début d’une histoire avec une phrase qui me trottait dans la tête depuis longtemps. Au bout de quelques semaines, j’ai quand même fini par me rendre compte que mon sujet de prédilection, c’était ma vie sexuelle, passée ou présente ! Au bout de quelques mois, j’ai rassemblé ces chroniques très intimes pour les envoyer par la Poste à des maisons d’édition. Très vite, Philippe Rey m’a répondu qu’il en aimait à la fois le contenu et le style, qu’il était prêt à éditer mon texte mais qu’il fallait que je fasse de ces chroniques éparses un vrai roman, avec un début, un milieu et une fin… Pendant plusieurs mois, je me suis donc remis à l’ouvrage, en rapiéçant l’ensemble des textes existants avec un fil directeur, en supprimant certaines longueurs et en comblant certaines ellipses. Les chroniques du placard (le titre original) sont ainsi devenues L’homme empêché, un vrai roman d’apprentissage.

Pourquoi avoir attendu autant d’années pour écrire ce roman ?

Samuel Loutaty : À côté de mon activité d’auteur, je suis journaliste. Je crois avoir choisi ce métier pour éviter d’écrire de la littérature. J’avais une peur immense de me confronter – à mon modeste niveau – à tous les grands auteurs que j’aime et une peur encore plus grande de la page blanche. Avec le journalisme, on s’efface toujours derrière les sujets qu’on aborde, et il n’y a pas de risque de ne « rien avoir à dire » puisqu’on est là pour raconter ou témoigner de quelque chose. Avec L’homme empêché, j’ai réussi à conjurer ma crainte en me choisissant comme sujet… Il m’a paru nécessaire de le faire maintenant à cinquante ans, comme si je ne pouvais plus attendre pour m’assumer pleinement. Il y a quelque chose de très paradoxal à exposer aussi crûment son intimité alors qu’on a passé des années à développer des stratégies pour rester dans l’ombre, pour cacher cette part de soi-même. Mais pour me réapproprier mon histoire, j’avais besoin de la rendre publique.

J’ai longtemps eu l’impression de ne pas avoir le droit de prendre la parole ou de ne rien avoir à dire d’intéressant. Il y a quelque chose de l’ordre du barrage à la fois très intime et en même temps sociologique.

Samuel Loutaty

Comment expliquez-vous cette peur de la page blanche ?

Samuel Loutaty : Cette peur de la page blanche est peut-être liée au traumatisme ancien de n’avoir jamais été capable de rédiger mon mémoire de maîtrise d’Histoire… Je me souviens encore du sujet : « Les journaux intimes des soldats français sur le front roumain pendant la première guerre mondiale » ! J’avais fait toutes les recherches nécessaires et au moment de la rédaction, j’ai fait un blocage et n’ai jamais rendu mon mémoire. Tout cela a à voir avec le syndrome de l’imposteur. J’ai longtemps eu l’impression de ne pas avoir le droit de prendre la parole ou de ne rien avoir à dire d’intéressant. Il y a quelque chose de l’ordre du barrage à la fois très intime et en même temps sociologique. Je viens d’une famille plutôt bourgeoise puisque mon père était ingénieur. Mais il est né au Maroc et a été élevé par ma grand-mère maternelle qui était illettrée… J’ai toujours eu conscience de ne pas avoir le même patrimoine culturel que celui de mes camarades d’enfance en Normandie. Je pense que ça a contribué à renforcer ce sentiment d’illégitimité. Je fais partie des gens qui doutent et qui ne se sont longtemps pas autorisés à penser à haute voix. Un sentiment que mes enfants n’ont sans doute jamais ressenti. Ils ne s’interrogent pas sur leur droit de prendre la parole pour s’exprimer. Ils s’expriment facilement et savent qu’ils en ont le droit. Pour moi, ça a toujours été compliqué. Je pense que ce sentiment d’illégitimité s’est aggravé du fait de mon ambiguïté sexuelle et de mon désir de la dissimuler. D’une certaine façon, moins je m’exprimais, moins il y avait de risques qu’on me surprenne, qu’on me découvre. Franchir cette étape a été salvateur tout comme la publication du livre.

Justement, pourquoi ne pas l’avoir publié sous forme de témoignage puisqu’il est jalonné d’éléments autobiographiques ?

Samuel Loutaty : Parce que je voulais garder une part d’invention, de liberté grâce à la fiction. Je tenais également à protéger mes proches, notamment mes enfants car je m’y expose beaucoup. Je voulais aussi donner voix à des gens que j’ai rencontrés et qui ne s’expriment jamais : des hommes qui vivent leur sexualité de façon dissimulée. Je me suis inspiré de certaines de leurs histoires, de leurs anecdotes, de leurs interrogations pour construire ce roman. Et puis, au fond, si je m’étais contenté de témoigner, en collant à la réalité de mon existence, j’aurais fait œuvre journalistique… Cette fois, ma volonté, c’était de signer une œuvre littéraire. Parfois, je me dis que j’ai écrit le livre que j’aurais aimé lire quand toutes ces questions d’identité sexuelle ont commencé à me travailler.

Est-ce pour cela qu’il est écrit à la première personne « je » ?

Samuel Loutaty : Le « je » s’est imposé à moi comme une évidence parce que, quand j’ai commencé à écrire ces fameuses chroniques, elles n’étaient pas du tout destinées à être publiées. D’une certaine façon, ça a été un journal intime avant de devenir une autofiction.

L’homme empêché est un récit de construction de soi et le journalisme occupe une place essentielle dans mon existence.

Samuel Loutaty

À travers le parcours de Sam, le protagoniste du livre, vous abordez également la lassitude qu’il peut y avoir dans les couples après plusieurs années de vie conjugale et la quête effrénée de chacun pour avoir son moment de gloire personnel et professionnel…

Samuel Loutaty : J’ai abordé dans ce roman tous les sujets auxquels un homme de cinquante ans peut être confronté dans le champ amoureux, sexuel et professionnel. J’ai un métier qu’il est extrêmement compliqué de mener parce qu’il est en mutation constante depuis mes débuts. La presse écrite ne va pas très bien et perd sans cesse des lecteurs. Ces difficultés-là heurtent sans cesse mon quotidien. Ça me paraissait très difficile de ne pas en parler. L’homme empêché est un récit de construction de soi et le journalisme occupe une place essentielle dans mon existence. Je ne sais plus qui disait qu’on ne faisait pas du journalisme, qu’on était journaliste. J’aime bien cette idée. Quand je présente le roman en disant que la première fois que j’ai assumé mes désirs et fait mes premiers pas dans le monde gay, j’y suis allé en journaliste – curieux de tout ce qui pouvait exister, en ne me refusant rien pour comprendre comment fonctionnait cette identité – je ne plaisante qu’à moitié !

Diriez-vous que le journalisme influe sur votre écriture romanesque ?

Samuel Loutaty : Oui, bien sûr. Je suis quelqu’un de très clivé comme je l’explique dans le roman mais je ne peux pas faire abstraction de ma manière d’écrire pour les journaux quand j’écris de la fiction. Je pense qu’au fil des années, j’ai développé un sens de la concision et de la précision qui sont nécessaires pour raconter une histoire. Mais cette concision peut devenir un travers. Quand on écrit un roman, on est guidé par la nécessité d’embarquer le lecteur avec soi sur une longue durée. Les personnages ont besoin de davantage de chair pour que le lecteur s’y attache et ait envie de poursuivre sa lecture. Mais, selon moi, la différence fondamentale entre les deux écritures, c’est l’humour. Dans un roman, on peut se permettre beaucoup plus de choses en la matière alors qu’en presse on est très contraint. Reste qu’« écrire drôle », je l’ai appris en pigeant pour un magazine féminin mythique qui n’existe hélas plus : 20 ans. Il fallait faire rire les lectrices tout en les informant et l’exercice est beaucoup plus compliqué qu’il n’y paraît. Ça a été une bonne école.

Pour écrire, j’ai besoin de me représenter mentalement des petits tableaux que je pourrais ensuite décrire à l’envi.

Samuel Loutaty

Qu’en est-il de la peinture ?

Samuel Loutaty : La peinture m’inspire et nourrit même mon écriture parce que j’ai une mémoire très visuelle. Je dirais même que mon sens du détail vient de là. Pour écrire, j’ai besoin de me représenter mentalement des petits tableaux que je pourrais ensuite décrire à l’envi. Je pense par exemple à la scène dans l’appartement luxueux d’un amant de passage où tout était immaculé. L’image de ces moquettes moelleuses et de ces meubles design m’est restée en tête jusqu’au moment où j’ai écrit dessus. C’est la même chose avec le tableau Paternité de Picasso que j’évoque au début du roman. J’ai dû faire des recherches pour retrouver son titre mais l’image, elle, était gravée sur ma rétine. J’ajoute que je suis très heureux du très bel hommage à David Hockney d’Annabel Briens qui figure en couverture du roman. Avec Philippe Rey, nous voulions quelque chose de solaire : L’homme empêché qui est un livre sur la reconquête de soi n’est, je crois, jamais plombant. Bien au contraire.

Tout au long du livre, le narrateur se réfère à divers auteurs (Philipe Roth, Marcel Proust, Erving Goffman…) pour illustrer certains ressentis ou expliquer certaines situations. Quelle place occupent ces auteurs dans votre parcours ?

Samuel Loutaty : Quand j’ai lu Portnoy et son complexe de Philip Roth, j’avais quinze ans. J’avais trouvé cette vieille édition dans la bibliothèque de mes parents et je ne savais rien de l’auteur et du livre avant de l’ouvrir. J’ai tellement ri… Dans mon panthéon littéraire, il y a très peu de livres qui m’ont autant fait rire que celui-ci. Philip Roth est le premier auteur qui m’a montré qu’on avait l’autorisation de penser contre sa famille, contre les valeurs qu’on nous inculque sans pour autant rejeter en bloc cet héritage. Au contraire, à travers toute son œuvre, on sent – aussi – l’amour qu’il avait pour les siens. Mais on peut à la fois les aimer et s’extraire de leur influence ou de leur dogme. La férocité avec laquelle Philipe Roth met en scène des personnages proches de lui (comme sa mère) est extrêmement salvatrice. Évidemment, à quinze ans, je ne l’avais pas formalisé ainsi ! Beaucoup plus tard, j’ai retrouvé cette férocité chez Alessandro Piperno. Cet auteur se livre à un jeu de massacre réjouissant dans ses livres où il met en scène des familles juives de la grande bourgeoisie italienne. Proust, c’est autre chose… J’ai lu Un amour de Swann au lycée pour le bac de français, un peu contraint et forcé. J’y suis revenu beaucoup plus tard grâce à un livre très drôle que j’ai fait lire à tous mes proches Duane est dépressif de Larry McMurtry. L’histoire est complètement loufoque. C’est celle d’un petit entrepreneur texan qui, à la suite d’une sorte de dépression, se retrouve chez une psy dont il tombe amoureux… Pour le soigner (et peut-être aussi pour se débarrasser de lui), elle lui recommande de lire La Recherche, à raison de 10 pages par jour. Et lui donne rendez-vous quand il aura fini un an plus tard ! Suite à un burn-out, j’ai appliqué ce conseil à la lettre pendant quelques mois. Ça a fonctionné et c’était merveilleux. Depuis, j’ai un peu calé mais je me promets sans cesse de m’y remettre ! Dans L’homme empêché, j’évoque aussi un sociologue canadien, Michel Dorais, qui a beaucoup contribué à me rassurer sur mon identité sexuelle parce qu’il parlait de fluidité bien avant que ce ne soit à la mode. J’ai beaucoup de mal avec les étiquettes et cette volonté bien française de tout ranger dans des cases. Je le dis d’ailleurs dans le livre lorsque j’écris : « Le cul entre deux chaises. C’est la posture inconfortable que j’ai adoptée dans la vie et que je cultive avec entêtement depuis des lustres ». Je vous accorde que ce n’est pas très joli comme expression, mais elle exprime assez bien ce sentiment permanent que j’ai de ne jamais être à ma place et de devoir la chercher.

Votre panthéon est également constitué de Richard Russo, John Irving, Richard Ford… Qu’est-ce qui vous plaît chez ces auteurs américains ?

Samuel Loutaty : Les romans de John Irving m’ont tellement accompagné tout au long de mon existence que j’ai presque l’impression de le connaître ! Ce que j’aime dans la littérature américaine, c’est sans doute l’exact inverse de ce que j’ai fait dans L’homme empêché, qui est très intimiste. Les auteurs que vous citez ont tous en commun d’aborder à la fois l’immensité du territoire américain et l’intimité de leurs personnages. Ils passent de l’une à l’autre avec une facilité qui ne cesse de m’intimider… C’est une littérature qui me transporte dans tous les sens du terme.

Je songe à un deuxième roman…. Je n’en suis qu’aux prémices et je laisse mûrir le sujet dans un coin de ma tête.

Samuel Loutaty

Comment qualifierez-vous votre travail littéraire ?

Samuel Loutaty : Je pense qu’on peut le ranger dans le domaine de l’autofiction. Je me suis pris comme sujet et j’ai essayé d’en faire un roman d’apprentissage et de construction de soi. On peut aussi y voir une forme de réflexion sur les origines aussi : le judaïsme est très présent dans le livre. L’autofiction, pour interroger la place qu’on occupe – celle que les autres nous laisse et celle qu’on prend – me semblait la forme littéraire la plus adéquate.

Des projets littéraires en cours ?

Samuel Loutaty : Je songe à un deuxième roman…. Je n’en suis qu’aux prémices et je laisse mûrir le sujet dans un coin de ma tête. J’aimerais mêler deux thèmes qui me tiennent à cœur : le judaïsme et la trahison. J’aimerais explorer la figure du traître aux siens. J’ai d’ailleurs parfois l’impression que L’homme empêché est un acte de traîtrise contre les miens. Une façon de penser contre eux. J’aimerais bien mêler ces deux sujets par le biais de quelqu’un qui se convertirait à une autre religion et se heurterait à ses proches. La figure du renégat me fascine aussi bien dans l’histoire qu’à notre époque.

D’où vient cette fascination pour la figure du renégat ?

Samuel Loutaty : J’ai souvent eu l’impression d’en être un moi-même en ne vivant pas la vie à laquelle on m’avait destiné. En choisissant un mode de vie non-hétérosexuel, en me séparant de la mère de mes enfants et même en travaillant dans la presse féminine ! Pour certains, j’ai trahi l’idéal du grand journaliste qui soulève des scandales, joue les lanceurs d’alertes, pour devenir « un journaliste de salon ». C’est une manière de voir les choses. Je ne dis pas que je passe mon temps à me vivre comme un traître mais je pense que ma fascination pour la figure du renégat vient de là : elle interroge toutes les identités dont je suis constitué.

Personnellement, je pense que nous sommes tous des êtres complexes dotés d’une aspiration à la profondeur qui cohabite avec des envies de légèreté. L’esprit humain est ainsi fait qu’il peut zapper de la guerre en Ukraine à l’organisation de ses vacances d’été au soleil.

Samuel Loutaty

Comment concevez-vous cette mésestime à l’égard des journalistes de presse féminine alors que d’éminentes figures intellectuelles et artistiques (Edmonde Charles Roux, Françoise Sagan, Jean-Paul Sartre, Hitchcock…) ont collaboré à des périodiques féminins ?

Samuel Loutaty : Cette mésestime vient d’une forme de paresse de ses contempteurs parce que généralement, ils restent sur des idées reçues sur la presse féminine qu’ils n’ont jamais ouverte ou alors pas depuis très longtemps. Ils ne savent absolument rien du contenu, mais pensent que c’est soit d’une futilité sans nom, soit constamment dans l’injonction. Personnellement, je pense que nous sommes tous des êtres complexes dotés d’une aspiration à la profondeur qui cohabite avec des envies de légèreté. L’esprit humain est ainsi fait qu’il peut zapper de la guerre en Ukraine à l’organisation de ses vacances d’été au soleil. On peut le regretter mais c’est ainsi. La presse féminine n’est que le reflet de ces contradictions intérieures. Je suppose que ne pas être considéré comme un « vrai » journaliste par mes pairs m’ennuyait au début de ma carrière. Aujourd’hui, ça ne m’affecte plus. Reste qu’il m’est arrivé de postuler à des postes de journaliste et d’être recalé en raison de mon passé dans la presse féminine. C’est dommage, mais c’est comme ça.

Sur quel support écrivez-vous ?

Samuel Latouty : J’écris sur mon ordinateur portable. Je ne sais pas si mon activité journalistique est responsable de cet état de fait mais j’ai totalement perdu l’habitude d’écrire à la main. Récemment, j’ai fait des dédicaces dans le cadre du Festival du livre de Paris et je me suis rendu compte que c’était très compliqué de former des lettres sur plus d’une ligne ! Je peux écrire avec l’ordinateur sur les genoux dans mon canapé, à ma table de travail ou même à la terrasse d’un café… Il m’arrive aussi de noter des idées ou des phrases sur le logiciel notes de mon téléphone portable. Ça m’est arrivé souvent durant l’écriture de ce roman. Alors que je prenais le tramway tous les matins pour aller travailler, je pouvais écrire pendant quarante minutes d’affilée sur mon téléphone. Je m’envoyais ensuite ces textes par mail pour les reprendre sur un fichier Word. Après avoir quasiment terminé l’écriture du roman, j’ai découvert qu’il existait des logiciels d’écriture très avancés. Ils évaluent le nombre de fois qu’un personnage est cité dans un texte ou mettent en exergue les occurrences fréquentes et évitent ainsi les répétitions… Je ne savais absolument pas que ça existait et je ne m’en suis pas servi. Ma façon d’écrire est très artisanale même si c’est à l’ordinateur. À chaque fois que j’intercalais un nouveau chapitre entre deux chapitres existants, il fallait renuméroter tous les chapitres suivants manuellement…

Un dernier mot sur la littérature ?

Samuel Loutaty : La littérature est pour moi une échappatoire et un continent inépuisable à explorer. Plus jeune, enfant et jeune ado, je me suis beaucoup ennuyé. Ça n’avait pas de caractère dramatique dès lors que je pouvais combler cet ennui en lisant. L’été, quand nous partions en vacances, j’obligeais toute ma famille à s’inscrire à la bibliothèque municipale de notre lieu de villégiature ; je me servais ensuite de toutes leurs cartes pour repartir chaque semaine avec un nombre invraisemblable de livres. C’est ainsi qu’un été, j’avais entrepris de lire sur la plage Les Rougon-Macquart dans l’ordre – La Curée est sans doute le plus beau Zola à mes yeux. Je me souviens que quand mes enfants ont commencé à lire et à apprécier la lecture, j’ai ressenti un vrai et intense sentiment de gratitude en pensant : « ils sont sauvés !». C’est que j’ai en moi la certitude que quelles que soient les vicissitudes de la vie, tant qu’on peut ouvrir un livre et s’y plonger, il y a de l’espoir. C’est aussi une nécessité qui m’a aidé à me construire, qui m’a aidé à penser et à me penser. Et puisqu’il est parfois question du divan du psychanalyste dans le roman, j’ajouterais qu’elle m’a aussi aidé à me panser !

Fasséry Kamissoko