Olympe de Gouges, femme de lettres et citoyenne engagée de la Révolution

Portrait Olympe de Gouges

Pionnière des luttes pour l’émancipation des femmes dans le monde, Olympe de Gouges fut également une opiniâtre figure politique de la Révolution. Que ce soit à travers ses pièces de théâtre, lettres publiques ou affiches placardées sur les murs de la capitale, elle promouvra tout au long de la période des valeurs humanistes en s’opposant aux exactions (régicide, arrestation et assassinat des Girondins…) commises par certains révolutionnaires et en prenant le parti des déshérités. Des prises de position qui lui vaudront d’être accusée à tort par le Tribunal révolutionnaire pour avoir « composé et fait imprimer des ouvrages auxquels devait se refuser toute plume patriotique et qui ne peuvent être considérés que comme attentatoires à la souveraineté du peuple », puis conduite à l’échafaud le 3 novembre 1793 à l’âge de 45 ans après un procès arbitraire mené par l’accusateur public Fouquier-Tinville.

Historien et conférencier, Olivier Blanc est le principal biographe d’Olympe de Gouges. À travers ses publications, il permet de réhabiliter son engagement politique en faveur des femmes et des Noirs, et sa mémoire diffamée pendant plus d’un siècle par la presse conservatrice, ses confrères hommes de lettres ou les ténors de la médecine (cf. le docteur Alfred Guillois dans une étude consacrée aux femmes de la Révolution). Entretien.

En se basant sur ses expériences et celles de ses semblables féminins (épouses, femmes de lettres, pamphlétaires observées à Paris, figures engagées dans la révolution), Olympe de Gouges réclamait dans un opuscule adressé à la reine Marie-Antoinette, une égalité juridique entre les hommes et les femmes et l’obtention de droits civils fondamentaux (droits de vote, de divorce…). Comment comprendre le faible écho de ces revendications en 1791 ?

Olivier Blanc : Les revendications d’Olympe de Gouges, qui apparaissent sous sa plume dès la publication de sa première pièce de théâtre, en 1785 (L’homme généreux) sont dans l’air du temps. Depuis la Renaissance, les salons animés par des femmes, et le plus célèbre d’entre eux, celui, au XVIIe siècle, de Ninon de Lenclos – modèle d’Olympe de Gouges -, n’ont jamais cessé de promouvoir les qualités intellectuelles des femmes dans tous les sujets relevant de l’académisme. La femme savante, longtemps moquée, sort de la caricature lorsque Mmes du Châtelet ou de Lavoisier s’expriment sur des sujets ou expériences scientifiques.  En 1789, plusieurs intellectuel(le)s considèrent que l’opinion est suffisamment mûre pour que soit mis à l’ordre du jour de l’Assemblée constituante le débat sur les droits des citoyennes. Mais la Révolution se radicalise et les luttes entre factions rivales prennent le pas sur des débats apaisés. Et beaucoup de députés, lorsque la guerre éclate en 1792, estiment que ce n’est plus le moment de débattre de questions sociétales. Dès lors, Olympe de Gouges elle-même cesse de mettre en avant ses revendications féministes, et choisit de montrer l’exemple de l’engagement direct au féminin, saisissant chaque occasion qui s’est présentée pour s’exprimer en paroles ou en écrits sur les questions d’actualité politique.

Outre Condorcet qui permit la lecture de l’article sur le divorce devant l’Assemblée nationale législative, les idéaux féministes d’Olympe de Gouges se heurtèrent aux railleries et refus des révolutionnaires d’accepter l’égalité des droits. Que traduit cette inacceptation juridique malgré l’implication des femmes dans la Révolution (prise de la Bastille, marche des femmes de Paris sur Versailles, etc.) ?

Olivier Blanc : L’expérience des promoteurs d’idées révolutionnaires montre que ceux-ci spéculent toujours sur la maturité de l’opinion publique et sa capacité à se transformer. Portés par leur enthousiasme, ils se trompent souvent et il y a désillusion. Les transgressions sociétales d’Olympe de Gouges sur le mariage, le divorce et les droits politiques des femmes et des Noirs ont peiné à faire bouger une société corsetée par un millénaire de féodalisme, de censure et d’influence religieuse dans les pensées et les pratiques politiques et économiques, familiales et sociales. La visibilité, modeste il est vrai, de l‘engagement des femmes dans la Révolution (journées du 6 octobre 1789 et quelques pétitions collectives faites en leur nom), fut insuffisante pour créer un élan débouchant sur une réflexion collective, un débat, ainsi qu’on le constate dans la presse libre de 1789-1793.  Le sujet lui-même, depuis l’historien Alphonse Aulard, n’a été qu’effleuré par les universitaires (colloques de Toulouse le Mirail en 1989 et de Paris 1 Sorbonne en 2002), et il n’existe pas encore, à ma connaissance, un ouvrage global et vraiment exhaustif qui répertorie à la fois l’engagement des femmes de la Révolution mais aussi celui des hommes (grands oubliés), en faveur des droits citoyens des femmes. Une communication que j’ai faite il y a quelques années lors d’un colloque sur les hommes féministes, portant sur le marquis de Villette, disciple et ami de Voltaire, m’a fait prendre conscience que l’implication des hommes, presque tous républicains et girondins, a été très importante. Mais le discrédit historiographique dans lequel ont été maintenus les hommes de la Gironde explique peut-être cela.

Parmi les combats d’Olympe de Gouges, se situait en première position l’abolition de l’esclavage théorisée dans Zamore et Mirza ou l’Esclavage des Noirs. Quel regard portez-vous sur ce combat ?

Olivier Blanc : Olympe de Gouges dans la préface à la seconde édition de sa pièce abolitionniste parue en 1788 sous le titre de Zamore et Mirza ou l’Heureux naufrage puis, en 1792, sous celui de L’Esclavage des Noirs indique que cette question est celle à laquelle elle s’est consacrée en priorité et de façon plus importante que la cause des femmes qui lui était chère. Il convient donc de prendre en compte l’importance que ce combat revêtait pour elle. Ce qui me frappe, c’est l’extraordinaire amnésie des historiens des XIXe et XXe siècles qui ont véritablement passé à la trappe cet engagement sur le long terme, jusqu’à la mort, que l’abbé Grégoire avait pourtant pointé en 1808 dans son ouvrage intitulé De la littérature des nègres. Il y a eu pour moi une volonté manifeste et honteuse de neutraliser l’importance relative de l’engagement d’Olympe de Gouges. Parce qu’elle était une femme, frontalement exposée dans un monde qui lui était hostile, son exemple devrait prendre un relief particulier dans notre mémoire collective.  Certains politiciens d’aujourd’hui ont manqué une bonne occasion de s’honorer en inscrivant son nom dans le Panthéon des grands hommes et grandes femmes.

Que reste-t-il des combats d’Olympe de Gouges ?

Olivier Blanc : Les combats d’Olympe de Gouges ne sont pas perdus puisque son exemple est devenu un repère important dans l’histoire mondiale du mouvement d’émancipation des femmes. On ne compte plus les municipalités françaises qui ont choisi de donner son nom à une rue ou un bâtiment public. J’ai moi-même répondu à l’invitation de grandes universités étrangères, notamment aux États-Unis et au Japon pour faire connaître mes recherches sur le personnage. Ce qui est important à retenir, est qu’Olympe de Gouges a relié entre eux son combat pour la défense des droits des femmes avec celui pour l’émancipation des esclaves des deux sexes dans les colonies. Sa mort tragique, que ses bourreaux n’ont pas manqué de relier à engagement féministe (cf. le discours, en novembre 1793, du procureur de la Commune Chaumette aux Républicaines) donne un grand relief à son engagement et illustre de façon incroyable son antithèse prophétique sur la tribune et l’échafaud (« La femme a le droit de monter à l’échafaud. Elle doit avoir également celui de monter à la tribune » in La Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, 1791).

Vous êtes le premier à avoir consacré une biographie sérieuse et foisonnante à Olympe de Gouges. Comment ce travail de réhabilitation précis et nuancé est-il né ?

Olivier Blanc : Il est né d’une sensibilité, la mienne, qui s’explique elle-même par mes origines et mon milieu. Je suis né sous une influence à la fois catholique et protestante, devenu gay assumé dès la fin de l’adolescence, et marqué par l’esprit libertaire de 1968 qui a décomplexé et déverrouillé bien des garçons et des filles de ma génération. Cette génération audacieuse, caustique et anticonformiste ne pouvait que revendiquer la belle Olympe, à la fois facétieuse, sérieuse et modèle intellectuel positif, à une époque où, avec Sartre, les intellectuels prônaient l’engagement direct. Je me souviens avoir écrit à Maryse Wolinski, récemment décédée, au sujet d’un article à la fois tonique et enthousiaste qu’elle venait de publier sur Olympe vers 1976 ou 77. Le personnage m’intéressait déjà à cette époque puisque les personnages emblématiques de la Révolution me fascinaient depuis mon plus jeune âge. L’air ambiant et l’impression de mystère et de scandale entourant la vie d’Olympe me déterminèrent à lui consacrer un livre.  Je me souviens ainsi en avoir parlé avec Marguerite Duras que j’avais connue grâce à mon ami Jean Lagrolet, ou aussi avec Roland Barthes, un ami et voisin que je voyais beaucoup à l’époque de mes recherches. Ils m’ont tous encouragé dans ce projet.

Un dernier mot sur son travail littéraire ?

Olivier Blanc : Olympe de Gouges avait bien conscience de ses limites si on se place sur le plan purement littéraire. Mais n’oublions pas qu’elle fut avant tout une femme politique courageuse et transgressive, et que l’écriture fut pour elle un instrument précieux, un vecteur efficace de communication. Il faut noter qu’elle fut à peu près la seule femme de la Révolution à signer des écrits politiques en son nom propre. Sauf dans de très rares exceptions lors de l’élection des députés aux États généraux de 1789, les femmes n’étaient ni électrices ni éligibles, et si elles cherchèrent à se faire entendre, ce fut à travers des discours et des pétitions, des articles et des brochures. À cet égard Olympe de Gouges fut la plus prolixe, faisant preuve d’un sens remarquable de la communication. À travers sa campagne d’affiches de 1792 et 1793 (conservée à l’Assemblée nationale dans la collection Portiez de l’Oise), elle acquit une forme de notoriété : les contemporains parlent de la « fameuse » Olympe de Gouges, et au Tribunal révolutionnaire, on lui a précisément reproché d’être sortie des bornes convenables et des limites assignées aux femmes. « Olympe de Gouges, née avec une imagination exaltée, prit son délire pour une inspiration de la nature. Elle commença par déraisonner et finit par adopter le projet des perfides qui voulaient diviser la France : elle voulut être homme d’État et il semble que la loi a puni cette conspiratrice d’avoir oublié les vertus qui conviennent à son sexe ».

Fasséry Kamissoko

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