Xavier Coste, auteur de bandes dessinées : «Le fait d’avoir changé de format m’a permis de m’exprimer librement, de sortir des cases pour que le dessin respire »

Xavier Coste © Ilia Osokin - 19 boulevard bouillon

Pour débuter, je vous demande une biographie. Quel est votre parcours ?

Xavier Coste : J’ai toujours voulu faire de la bande dessinée. Quand j’ai découvert la bande dessinée, je devais avoir sept ou huit ans. Je me suis immédiatement pris de passion pour le médium et me suis dit que j’en ferai un jour. Après le bac, je me suis inscrit dans une école de graphisme à Paris pour avoir une sécurité financière au cas où j’aurais des difficultés à lancer ma carrière. Mais très vite, j’ai eu la chance de publier mon premier album Egon Schiele : vivre et mourir. Depuis, je n’ai pas arrêté de travailler.

Comment êtes passé de la passion à la résolution d’en faire un métier ?

Xavier Coste : J’allais beaucoup dans les salons littéraires quand j’étais adolescent pour rencontrer les auteurs de bandes dessinées. Un jour, j’ai eu l’opportunité de montrer mes travaux à des éditeurs qui ont été assez encourageants, malgré mon jeune âge. L’un des éditeurs rencontrés m’avait même proposé un contrat. Tous ces encouragements ont fait que j’avais vraiment hâte de finir les études pour pouvoir commencer à travailler sur mes bandes dessinées. Je crois que c’est pour cela que je ne m’arrête pas de travailler, que j’enchaîne aujourd’hui les projets de livres, que ce soit seul ou en collaboration comme ce fut récemment le cas avec Antoine de Caunes.

Comment se sont passés professionnellement vos débuts en tant qu’auteur de bandes dessinées ?

Xavier Coste : D’une certaine manière, ils ont été compliqués. Dès le départ, je voulais adapter 1984 de George Orwell en bandes dessinées. C’est le projet que j’ai présenté aux éditeurs quand j’avais vingt ans. Malheureusement, c’était impossible d’avoir les droits pour différentes raisons. C’est à ce moment que j’ai décidé de concevoir un autre projet, qui a été présenté et accepté par Casterman. Il s’agit d’Egon Schiele : vivre et mourir.

Justement, parmi les nombreux ouvrages que vous avez publiés, se situent plusieurs biographies consacrées à Egon Schiele et Rimbaud. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce genre ?

Xavier Coste : J’aime beaucoup partir de faits réels, car j’ai toujours trouvé que la réalité était plus forte que la fiction. Ce qui m’a surpris quand j’ai réalisé la bande dessinée sur Rimbaud, c’est la vie pleine d’aventures qu’il a eue. La plupart des scènes que j’ai dessinées n’auraient pas été crédibles dans une fiction. C’est ce que j’aime dans la biographie.

Aujourd’hui, quand on pense à Rimbaud, on pense immédiatement à la photo en noir et blanc où il apparaît adolescent, beau, charismatique, et très calme. Or, ce n’était pas du tout de cette façon qu’il était perçu…

Xavier Coste

Ces biographies ont effectivement la particularité d’être tout sauf apologiques. Pourquoi ?

Xavier Coste : C’est vrai que ce n’est pas le genre de livres auxquels on s’attend sur Rimbaud et Egon Schiele. Ce sont deux artistes dont on parle davantage des prouesses techniques et de la précocité, en mettant de côté tout ce qu’ils ont pu commettre de mauvais. Il y a une image officielle très lisse d’eux. Aujourd’hui, quand on pense à Rimbaud, on pense immédiatement à la photo en noir et blanc où il apparaît adolescent, beau, charismatique, et très calme. Or, ce n’était pas du tout de cette façon qu’il était perçu. C’était un adolescent turbulent et non respecté. Nous sommes loin du culte dont il bénéficie de nos jours. C’est pareil pour Egon Schiele. On a plusieurs photos de lui où il apparaît assez serein et calme, ce qu’il n’était pas vraiment. Mais à la différence de Rimbaud, c’est quelqu’un qui maîtrisait énormément son image, tant dans ses autoportraits que sur les photographies prises par d’autres. D’ailleurs, à sa mort, son meilleur ami a brûlé quasiment l’intégralité de sa correspondance. Ce qui fait qu’on ne connaît que les grandes lignes de sa vie. La biographie que je lui ai consacrée a été motivée par une frustration personnelle. En tant que lecteur et amoureux de peinture, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas assez de documentation à son sujet. Je n’avais à ma disposition que les grandes lignes de sa vie et les autoportraits. Donc, j’ai essayé de combler les trous et pour moi, le meilleur moyen de le faire, c’était à travers la bande dessinée.

Avant de réaliser ce livre, ce que je tenais aussi à faire, c’était d’aller en Autriche sur les lieux où il a vécu : sa maison d’enfance, la prison où il a été enfermé une vingtaine de jours dans un village où peu de personnes vont. Quand j’y suis allé, il n’y avait personne, même pas un gardien. C’est une prison avec trois cellules, toutes restées en l’état. J’ai passé tout l’après-midi entre les quatre murs de cette prison où il était emprisonné une centaine d’années plus tôt, et où il avait réalisé plusieurs dessins dans sa cellule. J’ai pu me placer là où il était, avoir une sorte de conversation mystique avec lui, par moments. C’est un voyage qui m’a beaucoup touché pendant la création du livre. C’était important pour moi d’essayer de ressentir les lieux pour pouvoir les dessiner.

Pour ce qui est de la biographie consacrée à Rimbaud, je ne me suis pas rendu dans tous les lieux où il a vécu ou voyagé. En revanche, j’ai acheté un livre qui compilait toutes les informations qu’on avait sur lui. Le livre était très bien documenté : il y avait des anecdotes, des témoignages de gens qui l’avaient connu, des passages entiers de ses carnets de vente d’armes. Je ne m’attendais pas à trouver une documentation aussi précise sur la deuxième partie de sa vie en Afrique que j’ignorais. Pendant, longtemps, j’ai cru que les rumeurs qu’on entendait sur ses activités de vente d’armes étaient basées sur des supputations. Mais pas du tout. Il s’était complètement métamorphosé, y compris physiquement comme s’il avait souhaité casser l’image qu’il renvoyait. J’ai trouvé intéressant de montrer cette trajectoire dans le livre.

Votre œuvre est constituée également de livres qui traitent de plusieurs faits divers historiques. Qu’est-ce que vous aimez dans le fait-divers ?

Xavier Coste : À la dérive est le premier livre inspiré d’un fait divers que j’ai publié. C’est en lisant la presse ancienne sur Internet que j’ai découvert ce fait divers. À l’époque, je parcourais quotidiennement la presse ancienne à la recherche d’un sujet qui me permettrait d’évoquer la crue de Paris en 1910. C’est un phénomène que je trouvais très intéressant à traiter visuellement. Mais pour le faire dans une BD, il me fallait un prétexte que j’ai rapidement trouvé lorsque j’ai découvert qu’il y avait eu un braquage près de l’Opéra de Paris, en 1903. Ce braquage était d’autant plus intéressant à traiter qu’il avait été orchestré en partie par Eddie Guerin, l’un des braqueurs, qui s’était enfui d’un bagne. En revanche, j’ai triché un peu puisque ce fait divers a eu lieu quelques années avant la crue de Paris, mais comme je voulais à tout prix dessiner ce phénomène, j’ai déplacé l’intrigue en 1910.

Vous avez publié en 2022 aux éditions Sarbacane, L’Homme à la tête de lion, un livre qui met en scène plusieurs personnages auxquels étaient familiers les lecteurs de faits divers aux XIXe et XXe siècles. Comment cet ouvrage est-il né ?

Xavier Coste : J’ai découvert un jour, par hasard, une photo incroyable du circassien Hector Bibrowski surnommé Lionel. C’est une photo qui m’a assez intrigué au point de vouloir réaliser une bande dessinée sur le personnage. Mais pendant presque six ans, je n’ai pas pu concevoir le livre faute d’idées sur la façon de traiter le sujet. Je m’y suis mis lorsque j’ai réalisé que j’avais plus envie de réaliser un livre fantasmé sur les personnages, au lieu d’un livre réellement documenté. Par exemple, les personnages avec lesquels les freaks interagissent sont des personnages qu’ils n’auraient pas pu rencontrer, ils n’étaient pas sur terre à la même époque. Mais j’aime bien cette idée de rencontre imaginaire et improbable.

Les freaks présents dans le livre sont ceux qui m’ont le plus intéressé de par leur physique, leur histoire, leur trajectoire. C’est le cas de Lobster Boy, un personnage des années soixante-dix et quatre-vingts, qui mérite d’avoir un livre entier consacré à sa vie. C’est un homme qui a tué son gendre, mais qui n’a pas pu être emprisonné parce que les prisons ne pouvaient pas l’accueillir avec son handicap. Pour se venger, sa fille, devenue veuve, a engagé un tueur à gages pour le tuer. C’est un récit que j’avais intégré dans la BD, mais je l’ai retiré avant la publication, car mes premiers lecteurs pensaient que c’était inventé, alors que tout était réel.

L’homme à la tête de lion montre également avec minutie le double traitement réservé aux freaks dans la société : appréciés et contemplés dans les cirques, rejetés dès qu’ils arpentent les rues adjacentes.

Xavier Coste : C’est un traitement que j’ai trouvé intéressant à mettre en avant, parce qu’en fonction du lieu, on ne les considérait pas de la même manière effectivement.

Les différents ouvrages que vous avez publiés permettent tous d’entrevoir vos influences artistiques. C’est le cas notamment d’À la dérive, album très influencé par l’art déco ou de Rimbaud, l’indésirable, album dans lequel vous rendez subtilement hommage aux œuvres que vous aimez, dont L’Angélus de Millet.

Xavier Coste : Dans tout tous mes livres, j’essaye de glisser des petits clins d’œil aux œuvres que j’aime, à travers la mise en couleur, le cadrage, ou même le dessin comme c’est le cas avec l’Angélus de Millet que j’ai reproduit quasiment à l’identique dans Rimbaud, l’indésirable. Je trouve très important de chercher une nouvelle façon de réaliser chaque livre pour ne pas m’ennuyer. Ce sont ces petites recherches formelles qui rendent vraiment ce travail solitaire très agréable, surtout pour quelqu’un comme moi qui ne fais quasiment que de la bande dessinée depuis douze ans !

Avez-vous déjà envisagé de faire un autre métier ?

Xavier Coste : Non, pas vraiment, même si je travaille en ce moment sur un projet en tant que directeur artistique. Être auteur de bandes dessinées est l’activité qui me plait le plus, qui m’emmène à me remettre en question, à me dépasser à chaque fois. À apprendre aussi. Le livre sur la crue de Paris m’a conduit à regarder avec précision la mise en page des journaux de l’époque et des affiches de Mucha pour m’en inspirer. Rimbaud, l’indésirable m’a permis de mieux me documenter sur l’Angélus de Millet, y compris sur les techniques de peinture. Comme c’est un tableau que j’apprécie beaucoup, j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à l’étudier et à le dessiner.

Quelles sont vos influences graphiques ?

Xavier Coste : J’ai été très inspiré par le travail d’Enki Bilal, un artiste qui a contribué énormément à libérer le dessin en bandes dessinées. Il a été l’un des premiers auteurs à réaliser des planches où il n’y avait que deux ou trois cases. En décortiquant ses livres, je me suis aperçu qu’on pouvait, parfois, raconter davantage de choses en deux cases qu’en huit cases. J’ai été aussi influencé par le travail de François Schuiten, l’auteur des Cités obscures chez Casterman. Il a une rigueur impressionnante dans son travail, ainsi qu’une magnifique gestion des couleurs. Je me reconnais beaucoup dans le travail de Jean-Marc Rochette, qui atteint des sommets aujourd’hui.

Vous avez en commun avec Jean-Marc Rochette une utilisation soulagien du noir.

Xavier Coste : C’est vrai que nous avons une gestion des contrastes qui est assez particulière. Chez lui, je pense que ça vient de la peinture. Il peint énormément de tableaux. Peindre des tableaux est une activité que je rêve de faire, mais je n’ai pas encore osé m’y attaquer pour l’instant. Je suis donc un peu un peintre frustré. Ce que j’apprécie chez Soulages, c’est le geste, la liberté du dessin, la façon dont il parvient à créer autant de lumières, d’émotions avec différentes variantes du noir. En revanche, ce qui me manque dans ses tableaux, c’est le fait qu’ils ne représentent rien de figuratif. J’aime beaucoup quand il y a l’alliance du figuratif et de l’abstrait. J’ai besoin que le dessin ou la peinture représente quelque chose de tangible. Je retrouve cela chez Monet, un peintre dont j’adore les tableaux et le projet artistique.

En bandes dessinées, la scène contemporaine regorge de figures qui tentent de convoquer dans leurs œuvres leur passion pour l’abstraction et le figuratif. En lisez-vous certaines ?

Xavier Coste : Oui, il y a Elene Usdin, une artiste impressionnante dont j’apprécie le travail. Dès son premier album, elle a su marquer les esprits avec un style époustouflant. Je suis impatient de lire ses prochains livres.

Depuis la publication de l’album À la dérive, vos dessins sont plus libres, et souvent hors des cases. Pourquoi ?

Xavier Coste : La mise en page classique avec un nombre limité de cases faisait partie des frustrations que j’avais au début de ma carrière. À la période où je me suis lancé, je voulais réaliser des bandes dessinées plus longues avec un dessin éclaté, hors des cases. Malheureusement, les éditeurs étaient moins ouverts à ce format. Je me souviens qu’à plusieurs reprises, on m’avait demandé d’avoir une mise en page classique. Ce qui implique d’avoir plein de petites cases, qui emprisonnent à la fois le geste du dessinateur et le dessin. Le fait d’avoir changé de format m’a permis de m’exprimer librement, de sortir des cases pour que le dessin respire.

Je ne me reconnais pas dans les expériences de bandes dessinées où l’auteur se lance dans le défi de raconter quelque chose avec peu de dessins, voire pas du tout.

Xavier Coste

Quelle est votre définition personnelle de la bande dessinée ?

Xavier Coste : J’aime que le dessin soit très présent. Je ne me reconnais pas dans les expériences de bandes dessinées où l’auteur se lance dans le défi de raconter quelque chose avec peu de dessins, voire pas du tout. J’ai besoin qu’il y ait un dessin qui ressorte. J’aimerais d’ailleurs beaucoup qu’on mette davantage en avant le dessin. J’aimerais qu’il retrouve la place qu’il avait avant. Aujourd’hui, on a souvent tendance à se focaliser davantage sur le sujet d’un livre plutôt que sur le dessin. Ça, c’est dommage.

Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui ont envie de se lancer en bandes dessinées ?

Xavier Coste : De se lancer s’ils sont passionnés. Tant qu’il y a de la passion, tout peut arriver avec du travail et surtout de la persévérance.

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